TESTHANSKA

- Tu es trop lent Hassun ! raillé-je.

D'un geste vif, je lance un coup de patte en direction du lionceau gris se tenant devant moi. Moi, c'est Hanska et lui c'est mon frère, Hassun. Nous sommes des enfants du désert, la future génération de guerriers Jangowas ! Je bombe fièrement le torse, conscient que mère est là pour regarder mes prouesses. Mon frère n'est pas mauvais mais je sais qu'il n'atteindra jamais mon niveau. Je ne lui en veux pas pour ça. Ne vous méprenez pas, vous qui me lisez, car je l'aime bien mon frère. Le jour où je deviendrai empereur, je veillerai personnellement à ce qu'il possède une place importante au sein du clan.
Je prends mon élan pour relancer notre bagarre mais je vois qu'Hassun est ailleurs. Je soupire, exaspéré par le manque d'attention de mon frère. Tant pis pour lui, je lui apprendrai qu'un guerrier Jangowa ne se laisse jamais distraire ! Je me prépare à bondir mais m'interromps aussitôt dans mon geste en percevant de l'agitation autour de nous. Mais que se passe-t-il ? Je suis le regard d'Hassun. Je vois ma mère s'empresser vers mon père accompagné de ma peste de soeur. Je crois qu'Alibi est parti voir Kaya tout à l'heure. J'ai un mauvais pressentiment. Quelque chose ne va pas, je le sais, je le sens. Je plisse les yeux et finis par comprendre ce qui se passe en voyant la démarche d'Alibi... Mon père est blessé !

J'ai l'impression que mon coeur rate un battement et que le temps tourne au ralenti. En cet instant, le monde entier cesse d'exister à mes yeux. Sans prêter attention à ce que fait Hassun, je me précipite en direction de mon père. Qui l'a donc blessé ? Alibi a l'air de terriblement souffrir mais je ne vois pas beaucoup de sang s'écouler de sa blessure. Je m'approche prudemment de mon père et constate avec effroi une marque de crocs de serpent. Face au poison, je comprends que nous ne pouvons rien faire pour l'aider.

- Il.. Il s'est fait mordre par un serpent... entends-je Kaya dire.

Sans blagues ?! Ne peut-elle pas nous donner une information utile ? Nous expliquer comment c'est arrivé par exemple ? Elle était avec lui bon sang, elle aurait pu faire quelque chose ! Je sens la fureur monter en moi ainsi qu'une expression de dégoût se former sur mon visage. Je tourne lentement ma tête en direction de Kaya, la détestant à ce moment-là plus que jamais. J'ignore toutes les banalités que les autres peuvent débiter. Je me sens frustré, impuissant car je suis condamné à regarder mon père mourir et non pas d'une mort noble provoquée par un combat acharné mais d'une mort stupide causée par un serpent. J'ai besoin d'un fautif, j'ai besoin d'une personne à haïr et cette personne, c'est Kaya. Je ne sais pas ce qui s'est passé mais savoir la lionne présente au moment où Alibi s'est fait mordre me suffit amplement. Je sens mon aversion pour cette soeur décupler et suis même surpris qu'elle ne ressente pas ma colère tant elle est grande.

Excuse moi papa!!

Pathétique jusqu'au bout ! Je regarde Kaya s'éloigner après ses incessantes pleurnicheries. Même devant notre père mourant, ma soeur - si je peux l'appeler ainsi - n'a pas su se montrer digne de la famille ou du sang Jangowa qui coule dans ses veines. Quant à moi, la colère ne m'a toujours pas quittée mais au fond, j'ai très peur pour mon père. Je dois rester fort et ne rien laisser paraître. Je me tiens droit et essaie de faire preuve de la plus grande dignité possible. Je veux que mon père me voit ainsi en ces derniers instants avec lui. Comme le guerrier Jangowa que je suis et l'empereur que je deviendrai un jour.
Plus le temps passe et plus Alibi s'approche de la mort. Je resté là à observer mes parents. Je sens ma mâchoire trembler. J'ignore ce que font les autres autour de moi, si Hassun est resté, si Kaya est revenue ou même si d'autres se sont joints à nous. le désert entier pourrait bien disparaître que je n'y accorderai pas la moindre importance car mon père est tout ce qui compte.

L'attente me semble interminable mais je suis déterminé à ne pas broncher. Le jour laisse place à la nuit et la nuit laisse place au jour. Je plisse légèrement les yeux, dérangé par la lumière de l'aube naissante et ce que je vois me retourne l'estomac : Alibi ne respire plus. Je m'approche prudemment de lui et touche sa fourrure qui refroidit graduellement. Je sais qu'il n'y a aucune erreur possible et m'efforce de terminer la veillée de ce grand guerrier avec le plus de dignité possible.
Mes muscles deviennent bientôt trop engourdis pour que je puisse rester immobile. Je recule d'un pas trébuchant et consens enfin à m'éloigner du corps de mon père.

- Lâche-moi, d'accord ? feulé-je à l'intention de Hassun qui s'est approché trop près de moi.

J'ai l'impression que c'est une part de ma colère qui ressort car je viens de parler plus durement à mon fraternel que je ne l'aurais cru, mais je ne suis pas assez lucide pour prendre pleine conscience de mon acte. Je n'ai qu'une envie pour le moment : être seul. Je m'éloigne du clan et grimpe sur une dune. Je contemple une étoile solitaire qui n'a pas encore été effacée par l'aube. Je peine à croire que le jour puisse encore se lever après ce qui s'est passé.
Plus jamais je n'aurais l'occasion de rendre mon père fier. Plus jamais il ne sera là pour me transmettre son savoir. Plus jamais il ne pourra voir le guerrier en devenir que je suis.
Je sens une larme solitaire tomber sur ma patte à cette dure réalité.
Alibi est mort.

- Tu vas perdre une journée d'entraînement ! annonce Hanska.

Tout porte à croire que l'avertissement d'Hanska est inutile et il le comprend lorqu'il observe son frère Hassun, s'éloigner sans répondre, à sa plus grande contrariété. Si la relation entre les deux frères Jangowas a jadis été fusionnelle, elle tend à se détériorer au fil du temps. Deux éléments clefs ont déclenché le début de la mésentente des deux frères. Tout d'abord, la mort de leur père, Alibi, puis la naissance des enfants de leur sœur aînée Kaya. Alors que Hanska s'évertue à devenir un puissant guerrier Jangowa en passant ses journées à s'entraîner, Hassun quant à lui, s'occupe de ses neveux.
Hanska considère l'attitude de son frère comme une preuve de faiblesse, d'autant plus que l'exil traditionnel des adolescents de son clan approche à grand pas au fur et l'apparition de son début de crinière en est la preuve incontestable. De plus, si la relation entre Hanska et Hassun n'est pas au plus beau fixe, ce serait un euphémisme de prétendre qu'il ne s'entend pas avec sa sœur, Kaya.

Un nouveau jour se lève sur le désert des Jangowas. Alors que le soleil darde petit à petit les dunes de sable de ses rayons, nous distinguons des silhouettes de jeunes lions. Nous nous approchons d'eux. Tous arborent un visage grave et déterminé. Nous ressentons une certaine pression dans l'atmosphère ainsi qu'une excitation se répandre parmi les jeunes, car aujourd'hui commence l'exil.

Tous ces lions présents en ce jour ont une histoire à conter. C'est pourtant tes aventures que nous allons suivre, Hanska. Tu ne peux nous voir, ni même connaître notre existence, mais nous nous tenons près de toi. Tu es un adolescent dans la fleur de l'âge. Tu as gagné en force et en carrure, ton ventre ainsi que ta tête présentent désormais un début de crinière. Aucun doute n'est permis : tu n'as plus rien du lionceau que certains ont pu fréquenter jadis.
Que ressens-tu donc à l'approche de cette épreuve ? Ton visage fermé ne laisse entrevoir aucune émotion. Tu laisses ton regard dériver sur l'horizon. Tu sembles bien plus pensif que d'habitude, toi qui attendais depuis bien longtemps cette occasion de prouver ta valeur et te montrer digne de l'héritage de ton père. Oui Hanska, nous avons assisté à tes entraînements, jour après jour. Nous avons vu ton acharnement, tout comme nous t'avons vu délaisser tes proches à la perspective de l'exil, étape obligatoire pour le jeune ambitieux que tu es si tu comptes devenir empereur un jour. Nul doute que ce moment est important pour toi, et que rien ne pourra te retenir à l'appel de l'aventure.

Autour de toi, les jeunes commencent à discuter. Tu détaches ton regard de l'aube naissante et reportes ton attention à ce qui se passe près de toi. Il te reste une dernière chose à faire avant de partir. Tu dois parler à la dernière personne vivante qui compte encore pour toi : ta mère, Wema.
Tu repères sans difficultés le pelage si familier de la lionne parmi les autres. Tu sais qu'elle s'inquiète à l'idée de vous voir partir, aussi prends-tu l'air le plus assuré possible lorsque tu t'approches d'elle et bombes fièrement le torse.

- Tu verras, ce sera un jeu de lionceaux ! fanfaronnes-tu.

Tu es égal à toi même, Hanska ! Si nous nous attendions à un tel orgueil dans tes paroles, nous sommes plus surpris par le léger tremblotement que nous percevons dans ta voix. Malgré les grands airs que tu te donnes, tu es tout aussi nerveux que les autres à l'idée de la grande épreuve qui t'attend, mais tu es trop fier pour l'admettre. Peut-être as-tu toi-même remarqué ce manque de confiance que tu as malencontreusement laissé paraître car tu coupes court à la conversation d'un bref hochement de tête.

Prenant congés, tu t'éloignes de Wema et retournes à ta place, près du groupe d'adolescents. Néanmoins, tu gardes tes distances avec tes camarades et ne te mêles pas à eux. De part et d'autres, les jeunes lions se font encourager par leur famille. Nous te surprenons jeter un coup d'oeil à ton frère, Hassun, qui vient voir ta mère, ainsi que ta sœur et ses lionceaux. Essaies-tu de les éviter, Hanska ? De toute évidence, les remords ne t'ont pas quitté. Nous savons d'une part que tu blâmes Kaya pour sa propre part de responsabilité dans la mort de ton père et d'autre part, tu penses qu'elle a déshonoré ta famille en se mariant à un mécréant du clan nommé Jen et en donnant naissance à ses lionceaux. En d'autres termes, tu voues à ta sœur une aversion peu enviable.
En ce qui concerne Hassun, votre relation autrefois fusionnelle s'est dégradée progressivement au gré du temps. Si le rapprochement de Hassun avec ta sœur, Kaya, en est la cause principale, en grandissant, vos caractères se révèlent être bien trop différents pour que vous puissiez vous entendre. Tu te plais à rejeter la faute sur Kaya. Décidé à la haïr, tu trouves une raison supplémentaire pour alimenter ta colère vis-à-vis d'elle. Trop fermé sur tes idées et persuadé d'avoir raison, tu ne sembles pas vouloir comprendre que votre éloignement à Hassun et toi est en réalité inévitable.

Tu te caches présentement derrière un masque d'orgueil et de fierté mais nous ne sommes pas dupes, Hanska. Nous savons que ta solitude t'affecte bien plus que tu ne veuilles l'admettre. Privé de père jeune, tu n'as pas pu bénéficier d'un grand nombre de conseils de sa part. Tu pensais que vous serez toujours là pour vous épauler, Hassun et toi, mais votre fraternité n'a pas su résister à tous ces évènements au sein de votre famille. C'est donc seul et sans compter sur l'aide de personne que tu devras affronter l'épreuve de l'exil. Le grand désert sera ton seul compagnon, tu t'en remets à son verdict. Deux possibilités s'offrent à toi : la victoire ou la mort.

Nous te sentons sur le point de céder à l'appel du grand désert. Téméraire et sans jeter un seul regard en arrière, tu es le premier à partir. Nous t'observons t'éloigner sous le soleil levant. Nous ne te suivons pas, pour le moment. Tu n'es bientôt pour nous plus qu'une tâche floue sur l'horizon.
Il est temps pour toi d'embrasser ta destinée.

La Terre des Lions est bien vaste. Elle fourmille de créatures et d'histoires étonnantes. Nous ne sommes que des spectateurs de tous ces contes et notre rôle est de les relater. Nul ne peut nous voir ou nous entendre. C'est donc sans craintes que nous traversons le Grand Désert des Jangowas, à la recherche d'un individu précis. Nous allons suivre une aventure et ce sera la tienne, Hanska.



Le Grand Désert gronde en ce jour. Une terrible tempête de sable règne autour de nous, si bien qu'il nous est difficile de discerner quoi que ce soit. Nous avançons à l'aveuglette, en direction des voix de lions que nous entendons malgré le rugissement du désert. Trois félins adultes se tiennent désormais devant nous, des Jangowas répondant au nom d'Alibi, Aberash et Wema. Nous ne tardons pas à remarquer qu'ils sont regroupés autour de deux formes chétives, des lionceaux venant à peine de naître. En nous approchant d'avantage, nous constatons que l'un d'entre eux possède un pelage sable similaire à Alibi, et l'autre un pelage gris nous rappelant Wema. Impossible pour nous de nous douter de l'identité de ces lionceaux. C'est toi Hanska, ainsi que ton frère Hassun. Nous t'avons enfin trouvé.

Nous suivons le petit groupe alors qu'il tente de trouver un abri. Votre mère est épaulée par votre père, et ils vous portent, ton frère et toi, jusqu'à un oasis. Nous observons leurs efforts colossaux alors qu'ils essaient de vous maintenir en vie. Arrivés en lieu sûr, ton frère et toi avez survécu à cette lutte acharnée. Vous avez passé avec succès la première épreuve imposée par le Grand Désert lui-même. Après que vous vous soyez reposés de vos efforts, vos parents vous ramènent au clan sous les ovations de leurs camarades.

Au vu de ton jeune âge, tu ne te souviendras jamais des évènements autour de ta naissance mais nous nous rappellerons toujours cette tempête durant laquelle tu as vu le jour.



Tu grandis vite, Hanska et nous n'avons cessé de t'observer. Nous pouvons donc affirmer que malgré ton jeune âge, tu possèdes déjà une grande vivacité car nous t'avons bien vu entraîner ton frère dans mille et une bêtises. Nous avons également remarqué que tu suscites une attention particulière de la part de tes parents, en particulier ton père à qui tu ressembles beaucoup. Ton enfance est bercée par des contes et légendes sur de puissants guerriers Jangowas. Tu commences bien vite à t'entraîner pour l'exil, sous les conseils d'Alibi qui t'élève aux plus hautes ambitions : celles de devenir un jour l'empereur des Jangowas.

Toutefois, l'attention que tu portes provoque également une grande jalousie de la part ta sœur aînée, Kaya. Nous avons bien vu les regards qu'elle vous lance, à Hassun et toi. Nous l'avons parfois même entendue dire du mal de vous. Pourtant, tu n'as pas l'air de bien comprendre les raisons de l'attitude de Kaya. De toutes les fois que nous t'avons vu avec elle, tu n'as fait qu'envenimer vos relations en lui lançant des piques. Tu n'as pas l'air de prendre l'animosité de Kaya au sérieux Hanska, et tu as bien tort. Nous sentons tensions monter dans votre famille et l'affecter bien plus que tu ne le penses. Ces derniers jours, elles atteignent leur paroxysme. Nous doutons qu'il ne s'agit plus que d'une question de temps avant qu'un drame n'arrive.

Ce matin même, nous avons vu Kaya et Alibi s'éloigner du clan. Notre place n'étant pas avec eux, nous sommes restés avec toi. Tu passes une bonne partie de la journée à t'entraîner avec ton frère, sous le regard attentif de ta mère. C'est lorsque le soleil est à son zénith que nous voyons Kaya revenir vers vous, soutenant un Alibi blessé.
Nous vous suivons alors que vous accourez tous vers les nouveaux venus. Nous nous penchons pour observer Alibi de plus près. Seul un mince filet de sang est présent sur sa fourrure que nous suivons pour trouver l'origine de la blessure. Nous discernons les marques de crocs de serpent et comprenons que ton père est condamné.

Autour de nous, les exclamations fusent. Tu regardes Kaya s'éloigner d'un air furieux avant de reporter ton attention sur ton père. Wema, Hassun et toi le veillez jusqu'à ce qu'il pousse son dernier soupir. Cette fois, nous nous éloignons de toi par respect pour l'intimité de ta famille. Nous te retrouverons plus tard, Hanska, sachant désormais que tu devras affronter la perte de ton père.



Nous aurions eu tort de penser que ton aversion pour Kaya puisse se dissiper avec le temps. Elle semble au contraire s'être renforcée depuis la mort d'Alibi. Nous le voyons bien aux efforts que tu mets en œuvre pour la nuire, qui se révèlent être de plus en plus violents. Ta sœur n'a peut-être pas tué directement Alibi, mais la savoir sur les lieux de l'incident semble amplement te suffire pour vouloir faire porter le poids de la culpabilité sur elle.
Nous avons pu observer des changements notables en ce qui concerne ton comportement, Hanska. Tu deviens de plus en plus individualiste et passes de moins en moins de temps avec les autres. Tu passes le plus clair de ton temps à t'entraîner, bien souvent seul. Tu possèdes une bien étrange manière de surmonter ton deuil.

Malheureusement pour toi, et vraisemblablement en conséquence de ton attitude, ta relation avec les autres ne cesse de se détériorer. Même ton frère Hassun se lasse de ton comportement. Bien que vous ayez toujours été proches, vous commencez à vous éloigner. Nous savons que vos choix et caractères respectifs ne peuvent que vous séparer. Nous le voyons bien lorsque nous observons Hassun tenter de se rapprocher de Kaya, et te délaisser lors de tes entraînements. Nous te surprenons leur lancer des regards furieux de temps à autres, puis poursuivre tes activités, à croire que leur absence t'indiffère. Vos relations ne font que s'empirer depuis le mariage de Kaya avec un dénommé Jen avant avoir ses lionceaux, et depuis que Hassun prend une part importante à leur éducation.

Tu refuses désormais d'adresser la parole à ton frère et à ta sœur. Nous assistons à une véritable cassure entre toi et le reste de famille. La seule personne qui semble encore compter pour toi est ta mère, Wema. Bien qu'elle ne te le dise pas de vive voix, nous pouvons dire que ta mère s'inquiète pour toi aux regards qu'elle te lance. En cela, nous ne pouvons que lui donner raison en observant ton évolution : un lion ambitieux qui ne sait voir ses propres tort est susceptible de mal tourner et ainsi représenter un risque pour ses camarades.

Outres ces péripéties familiales, le clan des Jangowas connaît de grands bouleversements. Le règne de l'impératrice Shabel s'avère être de plus en plus critiqué et nous nous attendons à ce que quelqu'un prenne sa place. C'est aux aurores que Wivu défie l'impératrice. Nous sommes avec toi aux premières loges pour assister au combat sanglant entre les deux lions. Nous observons Wivu vaincre de justesse la perfide Shabel et devenir ainsi le nouvel empereur du désert. Autour de nous, les lions acclament celui qui a mis fin au règne de l'impératrice au sang mêlé.

Cependant, nous remarquons que tu ne te joins ni aux ovations, ni à l'hilarité générale, Hanska. Tu te contentes de regarder le nouvel empereur avec une expression d'avidité inquiétante, et nous devinons sans mal le fil de tes pensées. Pour le moment personne n'a rien à craindre de toi, simple adolescent n'ayant pas encore traversé l'épreuve de l'exil. Mais peut-être ne faisons-nous que retarder l'échéance...



Nous sommes bien présents lorsque tu dois partir en exil. Alors que le jour se lève, nous nous approchons des silhouettes d'adolescents alignées sur une dune de sable. Ohanzee, Hassun et toi arborez tous un début de crinière. Néanmoins contrairement aux autres, tu ne prends pas le temps de saluer correctement ta famille. Nous t'observons faire de brefs adieux à Wema, puis partir avant tout le monde. Nous notons que tu as soigneusement évité Hassun et Kaya, preuve concrète comme quoi vos relations ne se sont pas améliorées.
Nous ne te suivons pas tout de suite et restons un peu parmi la foule. Hassun met fin à sa conversation avec Kaya et ses lionceaux pour s'élancer à ta suite, tout comme Ohanzee. Nous surprenons également Ozalee s'aventurer dans le désert sous le regard d'Hatasa. Tu as plus de concurrence que prévu, Hanska mais il est tant de retourner auprès de toi.

Nous sommes à tes côtés alors que tu surmontes toutes les épreuves du désert. Ta détermination est mise à rude épreuve, mais cela ne saurait suffire à te décontenancer. Malgré ton inexpérience, tu restes déterminé à devenir le meilleur guerrier de ta génération. Les mois passent, et nous te voyons peu à peu te transformer en adulte. Alors que l'exil touche à sa fin, nous t'observons t'en sortir, une fois de plus, avec brio. Il ne fait aucuns doutes pour nous que tu ne tarderas pas à rentrer au clan, victorieux.

Le soleil se couche lentement sur l'horizon, ses rayons impitoyables accordant un peu de répit à la vaste étendue de sable. Quelques oiseaux volent sous le ciel crépusculaire tandis que les créatures nocturnes du désert commencent à s'éveiller. Malgré les températures extrêmes régnant en cette zone aride, la vie parvient à subsister. Çà et là, nous percevons des silhouettes de lions s'activer, leur pelage se confondant avec le sable. Nous convergeons vers l'une d'entre elles, la tienne Hanska.

Cela fait maintenant presque un an que toi et tes pairs êtes partis affronter l'exil traditionnel des Jangowas. Nous t'avons observé tout au long de cette épreuve de survie qui t'a fait grandir et mûrir. Tu n'as plus rien du lionceau inexpérimenté que nous avons pu connaître. Nous avons vu ta détermination être mise à rude épreuve durant ce rite de passage à l'âge adulte mais jamais tu n'as cédé, et tu as su surmonter toutes les difficultés se présentant à toi. Ainsi, tu bénéficies d'une bien meilleure connaissance du désert et de ses caprices mortels, tout en te forgeant un mental d'acier.
D'autre part, tu as subi une véritable métamorphose physique. Tu possèdes désormais une crinière, et tes muscles se sont développés sous ton pelage lustré. Alors que l'exil touche à sa fin, tu ne te présenteras pas au clan comme un lion affaibli par cette épreuve comme beaucoup avant toi, mais comme un adulte resplendissant et portant fièrement l'héritage de ses parents.

Actuellement assis sur une dune de sable, tu contemples le lointain. Tu regard bleu glacier balaye les alentours, insondable. A quoi peux-tu bien penser, Hanska ? Nous t'imitons et constatons que nous bénéficions d'une meilleure netteté maintenant que la chaleur et la luminosité tendent à diminuer progressivement.
Tu sembles avoir repéré quelque chose car nous te sentons t'immobiliser, près de nous. Tu fixes une zone bien précise et en suivant ton regard, nous comprenons que tu viens de repérer un point d'eau, s'agissant vraisemblablement de ton objectif. Trop conscients de la rareté de ces derniers dans le désert, nous ne sommes guère surpris de te voir aussitôt te diriger vers cette source d'eau, et ne tardons pas à te suivre.

Arrivé sur place, tu te désaltères, lapant avidement chaque goutte de ce précieux liquide. Malheureusement pour toi, tu n'es pas le seul à avoir repéré ce point d'eau, car nous percevons un autre lion se diriger vers toi. Tu sembles également l'avoir remarqué, car tu lèves subitement la tête en montrant les crocs. S'agirait-il d'un autre adolescent en exil venant te disputer ta découverte ? Te connaissant, tu serais sans l'ombre d'un doute prêt à te battre pour réclamer cette eau.
Entonnement, ton agressivité laisse place à la surprise. A mesure que celle qui s'avère être une lionne s'avance vers toi, nous parvenons à la distinguer. Nous pouvons désormais mettre un nom sur son visage et son pelage, et toi aussi.

- Maman...? dis-tu.

Nous percevons une certaine incrédulité dans ta voix et tu ne sembles même plus prêter attention à la raison de ta venue. Nous nous doutons sans mal que tu ne t'attendais visiblement pas à trouver Wema aussi loin du clan, encore moins à la voir avant ton retour.

Alors que Wema accoure vers toi, nous remarquons bien vite que les traits de ton visage s'assouplissent. Maintenant la méfiance et la surprise passées, tu commences à adopter une attitude bien plus détendue. Nous discernons même une lueur chaleureuse dans ton regard tandis que tu accueilles la nouvelle venue. Ton attitude te trahissant, il ne fait désormais aucun doute pour nous que tu es heureux de voir ta mère. En effet, nous savons pertinemment que jamais tu ne te serais montré aussi amical envers une autre personne et c'est bien la preuve concrète que cette lionne est importante à tes yeux. Ceci est d'autant plus vrai lorsque nous avons conscience que Wema est bien la seule personne qui compte encore pour toi dans le clan.
Ton contentement n'est que renforcé sous les compliments de la lionne. Nous te surprenons bomber le torse avec fierté et te rengorger, comme nous aurions pu nous y attendre.

- Je vais parfaitement bien. Je t'avais dit que ce serait un jeu de lionceaux ! Je suis sûr que les autres ne peuvent pas faire mieux. fanfaronnes-tu.

Malgré cette année d'exil, tu restes fidèle à toi-même dans ta vantardise ainsi que ta fierté poussée à l'extrême. Cependant, le ton léger que tu prends ne saurait nous laisser dupes lorsque nous avons surpris cette brève lueur d'inquiétude dans tes yeux alors que tu guettes attentivement la réaction de Wema. Nous ne pouvons que supposer que derrière ton attitude - qui semble puérile aux premiers abords - se cache une raison des plus matures. En effet, c'est sous tes airs sûrs tu tentes de rassurer ta mère car comme nous, tu as remarqué à quel point la lionne semble se faire du souci pour toi. Bien entendu, tu n'admettras jamais une telle considération de vive voix mais même cachée sous une couche d'orgueil apparent, elle n'en reste pas moins présente. Aurais-tu donc mûri, Hanska ?

Tu détaches momentanément ton regard de Wema pour observer les alentours comme si tu t'attendais à voir un autre membre du clan surgir derrière une quelconque dune. Malgré le caractère nomade de votre clan, vous restez toujours soudés dans vos déplacements. Il ne serait donc guère surprenant d'apprendre que ta rencontre avec la lionne résulte d'une coïncidence entre ton itinéraire et celui du clan.

- Je n'avais pas remarqué que je m'étais rapproché du campement. déclares-tu. Le reste du clan est dans les parages ? demandes-tu avec une curiosité non dissimulée.

Tu penches légèrement la tête sur le côté en attendant la réponse de ta mère. Cette dernière ne t'a pas encore dit par quel heureux hasard vous avez pu vous croiser, et tu sembles désireux d'en savoir d'avantage à ce sujet. Par la même occasion, peut-être obtiendras-tu quelques nouvelles  du clan ?

Je laisse échapper un soupir, parcourant machinalement du regard l'étendue verdoyante autour de moi. Peut-être est-ce une impression, mais il me semble que le temps passe à une allure ahurissante. Serais-ce dû à l'enchaînement des évènements ? Peut-être bien. Le clan change, les sujets d'inquiétude également. Malgré tout ce qui a pu se passer, la vie continue son cours sur Freeland, tel un fleuve. Je peine à croire que cela fait maintenant un an que le prince Kama est mort sous les griffes d'un vagabond. Depuis le temps, nous avons cessé les recherches et abandonné tout espoir de retrouver ne serais-ce qu'un corps. Nous possédons désormais la certitude que c'est à son frère, le prince Naba à qui reviendra le trône de Freeland après la mort du roi Haki. Le nouvel héritier semble bénéficier un grand soutien de la part de Sumu...

Je dresse l'oreille en entendant un frémissement dans l'herbe, puis me détends en constatant qu'il ne s'agit que d'un suricate. Pour ma part, certaines choses restent inchangées. La sécurité du clan est un sujet qui me tient de plus en plus à cœur et je suis toujours aussi peu prompte à laisser des inconnus représentant un danger potentiel se promener aussi librement sur nos terres. J'aimerais que les autres membres du clan partagent mon zèle mais je me frotte plus à l'incompréhension qu'autre chose face à mes camarades lorsque j'adopte cette attitude. Le chef des guerriers, Luso, semble partager mes convictions et a bien renforcé la sécurité frontalière. Néanmoins, dans la mesure où nous ne possédons que peu de recrues guerrières motivées et que la superficie de notre territoire est aussi grande, j'ai conscience que les intrusions sont inévitables.

Je fais ce que je peux, à mon humble échelle, raccompagnant ceux qui ne sauraient respecter les frontières et multipliant les patrouilles. Si la situation générale de Freeland me frustre, personne ne pourra me reprocher de ne pas assurer la sécurité de mon royaume.
Patrouiller, c'est bien ce que je fais en ce jour, et je viens justement de découvrir un intrus sur nos terres. Je m'avance vers lui à petits trots et lui sonne aussitôt de s'arrêter.

- Halte, voyageur ! fais-je.

Maintenant près de lui, je discerne bien l'inconnu en question. Je ne peux m'empêcher de dévisager de la tête aux pattes cet étrange félin bénéficiant d'une morphologie proche du léopard, et d'une crinière me rappelant celle d'un lion. Je ne me laisse pas déstabilisé pour autant. Quelle que soit l'espèce de cet étranger, je ne lui accorderai aucun traitement de faveur.

- Vous êtes sur Freeland, terres du roi Haki. Avez-vous reçu la permission de franchir la frontière ? demandé-je.

Je veille à mettre de l'autorité dans ma voix sans pour autant être agressive. Je laisse tout de même la chance à cet inconnu de se justifier. Je lui donne également une chance de régler cette affaire de manière pacifique. Reste à voir comment cet intrus réagira.

Les jours passent et le désert ne fait que poursuivre inlassablement son train quotidien, entité indifférente aux supplices infligés à ses membres. Toutefois, le soleil se lève vers un jour nouveau relativement important à l'échelle des lions du désert connu comme étant celui de la rentrée des adolescents de l'exil.
Nous nous y intéressons de près car cette génération d'exil est la tienne, Hanska. Nous avons suivi toutes les épreuves que le désert a pu t'imposer et avons observé tous tes efforts pendant cette longue année. Tu as bien changé, désormais un adulte mûr et endurci par les épreuves de ton milieu de vie. Pendant tout ce temps, ton environnement t'a modelé. De l'adolescent, tu es passé à un jeune adulte rempli de ressources, et arborant fièrement sa crinière.

Autour de nous, quelques silhouettes se dessinent de part et d'autre des dunes de sable. Il s'agit bel et bien des autres adultes ayant survécu à la même épreuve que toi. Nous te surprenons plisser les yeux pour mieux observer les nouveaux venus et nous faisons de même. Parmi eux se trouvent ton frère Hassun, mais également Jaasi et Jemadari les fils de Khassim, ainsi qu'Ozalee la toute première femelle à tenter et réussir l'exil. Tous ont changé et ont subi une métamorphose physique au même titre que toi. A première vue, seul Ohanzee manque à l'appel. Force est de constater que ce fait ne saurait te perturber dans la mesure où tu ne t'es jamais bien entendu avec ce lion.

L'ensemble du clan ne tarde pas à se rassembler pour vous accueillir. Nous te suivons alors que tu rejoins la foule d'un pas lent et mesuré. Tu toises ces visages familiers de ton regard bleu glacier teinté d'une lueur suffisante. Ce faisant, tu bombes fièrement le torse comme nous aurions pu nous y attendre, visiblement préparé à recevoir les compliments de tes camarades car s'il y a bien une chose que l'exil n'aurait su te retirer, c'est ton narcissisme apparent. Essaierais-tu d'attirer l'attention sur toi ? Pourtant, tu ne sembles pas porter grand intérêt aux autres lions présents. Balayant maintes fois le rassemblement du regard, tu sembles être à la recherche d'une personne bien précise.

- Ravie de voir que tu as survécu toi aussi, Hanska. Bienvenue chez toi.

Est-ce bien la voix de Kaya que nous entendons ? En nous retournant, nous sommes tout aussi surpris que toi de voir la politesse dont fait preuve ta soeur à ton égard, connaissant très bien l'animosité présente entre vous deux depuis la mort d'Alibi. Peut-être Kaya semble-t-elle prête à enterrer la hache de guerre. Néanmoins, au regard froid que tu lui lances nous nous doutons bien que c'est loin d'être ton cas.

- Et Wivu ? Comment se fait-il qu'il ne soit pas là pour nous accueillir ? Le nouvel empereur aurait-il peur de potentiels adversaires ? demandes-tu d'une voix traînante.

Nous comprenons maintenant alors que c'est Wivu que tu sembles guetter depuis ton retour. L'ambition ne t'a jamais quittée tout comme l'idée de gouverner un jour les tiens. Maintenant adulte, tu dois vraisemblablement penser te rapprocher du but. Encore faut-il que personne ne vienne prendre ta place car toi aussi tu as repéré l'agitation d'Hassun et tu as matière à en faire ta propre interprétation.

- Ne crois pas que je ne te vois pas venir petit frère, tu ne me voleras pas la vedette. décrètes-tu d'un air menaçant.

Tu foudroies tour à tour Hassun et Kaya du regard, impatient d'obtenir des réponses.

Prologue
Prologue

Le survol de la Vallée d'Avalar est spectaculaire, même de nuit. Le village de guépards est facilement repérable par la fumée que dégagent les feux de camp dans le ciel. Nous longeons le fleuve et voyons distinctement les constructions de bois à mesure que nous nous approchons. Finalement nous entrons au village où nous avions vu se dégager cette fumée quelques instants plus tôt. Autour de nous, les habitants terminent de manger et vaquent à leurs occupations. Personne ne peut ni nous voir ni nous entendre ; nous ne sommes que des spectateurs invisibles de la scène.
Notre attention est attirée par une jeune fille au pelage flamboyant. Assise à l'écart, nous l'observons tandis qu'elle contemple les flammes, une fascination non dissimulée dans le regard.
Une étrange alchimie s'opère en nous devant cet être différent de ces paires. Nous en ignorons la raison exacte, mais c'est bien toi que nous allons suivre, jeune fille.

I - Crépitements

Au fil des jours, nous parvenons à en apprendre d'avantage sur toi. Tu t'appelles Glingal et tes parents sont tous deux des chasseurs du village. L'impression que nous avons eu en te voyant pour la première fois s'est révélée être la bonne : tu es marginale et nous avons encore bien du mal à te cerner.
Alors que les enfants de ton âge s'intéressent au maniement des armes et parlent de leurs futures chasses, tu ne te mêles pas à eux. Tu n'es pas comme eux. Deux questions peuvent donc se poser : qui es-tu donc Glingal et quels peuvent bien être tes centres d'intérêts ?

Nous avons pu partiellement obtenir une réponse à ces questions au prix de quelques investigations.
Parfois, quand tu penses que personne ne te regarde, tu te tiens debout les mains tendues face à un petit tas de brindilles. Si ces manies semblent bien étranges aux premiers abords, en tendant l'oreille, nous avons pu t'entendre murmurer quelques incantations et autres formules magiques.

La vérité qui peut être déduite de ces informations, c'est que tu es en réalité une jeune fille fascinée par la magie. Tu as soif d'apprendre. Tu t'absorbes régulièrement dans des livres pour tenter d'en apprendre le plus possible sur le sujet. Les soirs, tu continues à observer les flammes avec envie. Les journées, tu poursuis tes exercices avec une admirable persévérance. Il ne fait aucun doute pour nous que tu finiras tôt ou tard par récolter le fruit de tes efforts.

II - Première étincelle

C'est à mesure que le temps passe que nous nous rendons compte que nous avions raison de croire en ton potentiel. Nous avons observé tes progrès jour après jour, Glingal. De rien, tu es parvenue à l'étape des cendres. Des cendres, tu es parvenue à l'étape des flammèches. Désormais, tu arrives à allumer tes propres feux.
Tu es toi-même satisfaite de ce que tu arrives à faire. Cela se voit à ton attitude ainsi qu'à la lueur de ton regard. À chaque fois que tu utilises ta magie, tu sembles émerveillée par ces débuts de flammes que tu arrives à produire. Bien souvent, tu t'approches dangereusement des feux de tes créations au point qu'ils viennent te frôler la fourrure. Tu sembles d'autant plus fascinée par ces jeux de magie et les productions qui en découlent. Après tout, n'es-tu pas toi-même capable d'utiliser le feu, un élément vital pour tout peuple ?

Bien sûr Glingal, tu ne peux pas garder le secret indéfiniment. Quelques murmures, quelques aperçus de fumée, quelques oreilles indiscrètes suffisent à répandre la nouvelle au village.
Alors que les tiens te considéraient comme une étrange fille et ne te prêtaient guère attention, tu attires maintenant la curiosité de tes paires. Lorsque l'on te demande d'allumer des feux de camp, tu le fais sans hésiter. Ovations suivent l'utilisation de tes nouveaux pouvoirs tant sont-ils inhabituels chez les jeunes de ta tribu. Tout ceci suscite à la fois rengorgement et fierté de la part des tiens et notamment de tes parents.

Néanmoins, ce n'est pas un sentiment partagé de tous. À force d'observation, nous avons pu constater des reflets bleus dans tes débuts de flammes. À en juger l'expression inquiète de quelques adultes qui observent la scène de loin, nous ne sommes pas les seuls à avoir repéré ces détails. Toi en revanche, tu ne sembles pas remarquer la méfiance de certains. Trop concentrée que tu es à fixer les flammes, tu as à peine réagi ne serais-ce qu'aux acclamations et compliments de ceux qui sont près de toi. Nous pourrions presque croire que cela t'indiffère.

III - Brasier

Lorsque les années passent, tu deviens méconnaissable. Tu t'isoles de plus en plus des autres au point de susciter l'inquiétude. Tu sembles dans ton propre monde. Tes rares rapports avec autrui sont agressifs. Les gens se plaignent de ton attitude ainsi que de ton comportement mais le remarques-tu seulement ? Si tel est le cas, tu ignores superbement les vertus morales.
Qu'est-il donc advenu de la jeune fille curieuse de découvrir la magie que nous avions rencontré quelques années plus tôt ? Ta fascination pour la magie vire à l'obsession au point que plus rien d'autre ne semble avoir une quelconque importance pour toi.

Tu passes le plus clair de ton temps à lire et à t'exercer. Tu travailles avec un inquiétant acharnement, et c'est toujours plus loin que tu repousses tes limites. La conséquence directe de ces longues heures d'études et de pratique, c'est que tu parviens maintenant à produire des résultats impressionnants. C'est avec une jubilation presque malsaine que tu contemples toujours tes propres résultats. Tu fais froid dans le dos. Par la multiplication de tes expériences de plus en plus insistantes, tu deviens un danger pour les autres. Aussi ne sommes-nous pas surpris lorsque le drame finit par arriver.

Nous n'étions pas dans les parages à ce moment-là mais lorsque nous avons vu d'énormes panaches de fumée dans le ciel, nous nous sommes hâtés au village. Ce que nous voyons maintenant est un spectacle à glacer le sang ; le village tout entier est consumé par d'immenses flammes bleues.
Hurlements et affolements déchirent cette effroyable nuit. Pourtant, nous avons une découverte bien plus terrible encore. Indifférente à l'agitation environnante, tu es là Glingal, face au village. Tu ne bouges pas, tu n'aides pas. Tu te contentes de regarder ces flammes bleues qui viennent lécher le ciel. Sur ton visage, nous discernons le même regard fasciné que tu as eu lorsque nous t'avons vue la première fois face au feu de camp, quelques années plus tôt.

Brûler le village était-il un acte volontaire ou accidentel de ta part ? C'est vraisemblablement une question à laquelle nous n'obtiendrons jamais de réponse. Si l'incendie put être éteint avec le secours des mages de l'eau, les conséquences pour le village furent désastreuses, et de nombreuses vies furent perdues.
Tes paires connaissent ton caractère et tes capacités et personne n'a le moindre doute quant au fait que tu es l'autrice de ses flammes bleues. Le verdict de cette catastrophe n'est nul autre que ton bannissement du village.

IV - Cendres

Malgré tout, tu ne quittes pas la région. C'est à tes risques et périls que tu as choisi d'élire domicile dans les grottes souterraines de la vallée, où tu as établi un camp. Tu vies à l'écart de tes paires et ne sors de que rarement de ton nouveau chez toi. Peut-être as-tu compris qu'il est bon de te faire oublier - du moins un temps. Ou peut-être es-tu simplement trop obnubilée par tes expériences pour sortir. Nos observations semblent plutôt confirmer cette deuxième hypothèse.

Nous qui pensions commencer à te cerner quelques années plus tôt, nous nous rendons compte que nous avions tort. Avec toi, nous allons de surprise en surprise.
Que retiens-tu donc de la catastrophe Glingal ? Tu n'as jamais l'air de souffrir. As-tu seulement déjà ressenti le moindre attachement pour qui ou quoi que ce soit ? Tu n'as pas l'air d'avoir retenu une quelconque leçon de l'incendie. Nous n'avons trouvé aucun changement notable dans ton attitude. Tu poursuis tout ce que tu faisais déjà lorsque tu étais encore au village. Tout porte à croire que l'évènement ne t'a nullement affectée.

Désormais, tu gagnes ta vie en étant herboriste. Certains arrivent à passer outre les étranges rumeurs qui circulent à ton sujet pour faire appel à tes services. Lorsque tu vas en ville, certaines personnes murmurent et te pointent du doigt. Tes allures de femme inquiétante ne font qu'alimenter les préjugés à ton égard. Les gens te fuient et quittent les boutiques lorsqu'ils te voient.
Et toi ? Le remarques-tu seulement ? Enfermée dans tes routines, tu ne sembles prêter aucune attention à ce qui se passe autour de toi. Tu poursuis tes affaires comme si de rien n'était. Peut-être es-tu dans ton propre monde ou peut-être témoignes-tu le plus grand mépris pour autrui. Il s'agit cette fois d'hypothèses pour lesquelles nous ne saurons trancher.

V - Attiser les flammes

Ton obsession pour la magie du feu atteint son apogée lorsque tu t'apprêtes à commettre l'acte irréparable. Nous sommes bien avec toi au moment où tu contractes la malédiction du Tigre-Garou. Trois mages se tiennent autour de toi et d'étranges dessins au sol semblent vous relier.
Nous prenons nos distances face au spectacle d'horreur qui s'offre à nous. Tu pousses des hurlements à glacer le sang pendant de longues heures. Ton regard est fou. Tu visage est déformé par une expression repoussante.
La finalité du rituel n'est nulle autre que ce qui a été initialement prévu : tu deviens un Tigre-Garou. Tu as atteint l'objectif idéal de devenir une créature du feu. Trempée dans une magie des plus sombres, tu es arrivée au point de non-retour.

Dans les mois qui suivent ce rituel, nous entendons des rumeurs concernant une bête rôdant entre la Vallée d'Avalar et la Forêt Crépuscule. En parallèle à ces dires, quelques faits inquiétants ont été reportés. En effet, il serait arrivé à plusieurs reprises que des campeurs aient été retrouvés morts au petit matin, leurs cadavres recouverts d'affreuses plaies.
Connaissant les faits, il ne fait aucun doute pour nous que tu es responsable de ces agressions, Glingal. As-tu volontairement commis ces meurtres dans le but d'évaluer tes nouveaux pouvoirs ou éprouves-tu simplement des difficultés à contrôler tes transformations ? Là encore, nous ne pouvons émettre que des hypothèses. Toujours est-il qu'au fil du temps, ces agressions se sont espacées jusqu'à cesser complètement. Le mystère de la bête ne sera donc jamais résolu.

C'est à mesure que l'inconnue s'approche de toi que nous constatons que notre première impression la concernant s'avère la bonne dans la mesure où il s'agit bien et bel d'une dragonne. Petite taille, écailles bleues et corne tendue vers l'avant, elle possède une apparence bien singulière. Tu ne te rappelles pourtant pas l'avoir déjà aperçue dans les parages ou du moins, t'en serais-tu souvenue. Semblent se dégager d'elle un air guilleret et une personnalité candide. En d'autres termes, tout l'opposé de la personne que tu es. Le contraste entre vous deux en est presque saisissant.
Au vu de l'attitude de cette nouvelle venue, il serait tentant de penser qu'il ne s'agit que d'une simple voyageuse égarée. En effet, ses airs naïfs et inoffensifs laisseraient pré-supposer qu'elle n'est pas à sa place en ces terres à la fois dangereuses et hostiles. Peut-être est-ce là également ta déduction, Glingal. Si tel est le cas, peut-être découvriras-tu à tes dépends que les apparences peuvent parfois être trompeuses.

Tu ne réponds pas tout de suite et laisses planer un moment le silence. Les minutes passent, mais la personne en face de toi est toujours là et attend visiblement une réponse.

- Que voulez-vous ? réponds-tu finalement d'une voix rauque.

Aucune formule de politesse de ta part, aucun signe susceptible d'encourager la conversation ; tu ne fais même pas les présentations. Te connaissant, il fallait s'y attendre. Tu sembles même agacée par son interruption. De toute évidence, tu ne considères la personne qui se tient face à toi que comme une importune, une mouche qui viendrait te déranger d'un peu trop près dans ta routine.
Notons que nous avons pu surprendre un geste discret de ta part. En effet, tu viens de remettre ton sac vers l'arrière, comme pressée de la dissimuler. Vient s'ajouter à ces faits que tu gardes jalousement tes réserves ; tu n'es guère friande de partage.

- Hâtez-vous, je n'ai pas toute la journée. ajoutes-tu sèchement.

Alors que le temps passe, l'ennui laisse place à l'irritabilité. Tu perds patience. Il serait sans doute correct de supposer que tu n'as guère envie de t'éterniser en ces lieux. Nous pouvons même aller plus loin dans nos déductions en prétendant que tu n'as en cet instant qu'une hâte : voir la dragonne partir.

Tu as beau étudier la dragonne du regard, nous ne décelons aucun intérêt dans ce dernier. Malgré le sourire de ton interlocutrice, tu restes de marbre si bien qu'il nous est difficile de deviner le cours de tes pensées. Nous remarquons toutefois un léger haussement de sourcil de ta part, à peine perceptible soit-il. Es-tu agacée ? Amusée ? Ennuyée ? Ton visage ne laisse rien paraître.
Toujours est-il que n'importe-quelle personne te connaissant tant soit peu trouverait paradoxale une telle proposition d'aide. D'une part tes connaissances d'herboristes se suffissent amplement à elles-mêmes. D'autre part, tu n'es guère le genre de personne à qui l'on viendrait spontanément proposer de l'aide. Aussi bien par ton autonomie naturelle que par ton allure inquiétante qui aurait vite fait de repousser toute créature sensée.
Qui est donc cette étrange dragonne qui ose t'adresser la parole sans aucune crainte ? Sans doute as-tu toi-même noté cette différence de comportement par rapport aux autres créatures qui ont déjà croisé ta route. Il semblerait que tu sois cette fois tombée sur une personne bien insouciante. Ce simple facteur serait-il susceptible de faire changer ton attitude à l'égard d'autrui ?

- Non, merci. réponds-tu.

Nous nous en doutions : la réponse à notre interrogation est non. Alors que tes paroles sèches tombent, nous constatons que tu te montres implacable. Ferme, tu n'ajoutes rien d'autre. Tu coupes tout simplement court à la conversation. Nous pourrions même avancer que tu ne laisses à la dragonne bleue aucune chance de tenter de la poursuivre. Reste à savoir s'il s'agit d'un geste volontaire de ta part ou tout simplement ton attitude naturelle.
Tu lances un dernier regard à l'importune, cette fois teinté d'une pointe de mépris. Sans attendre une réponse ou même une quelconque réaction de la part de la dragonne bleue, tu lui tournes le dos et poursuis ton chemin comme si de rien n'était. Nous nous hâtons de te suivre alors que tu t'enfonces à nouveau dans la végétation du bosquet, à la recherche de la sortie.

Étonnement, la dragonne bleue ne semble pas se laisser décontenancer par ton attitude. Non seulement la prénommée Gayst continue de te suivre mais en plus, elle tente de te faire la conversation. Tu lui lances un regard oblique sans pourtant t'arrêter. De toute manière, il est assez peu probable que Gayst s'en aille avant que vous ne soyez toutes deux sorties du bosquet et tu sembles le savoir.
Pourtant, tu ne lances aucune remarque cinglante. Tu n'essaies pas de la faire partir. Peut-être t'es-tu résignée à cette cause perdue ? Si tu es agacée, tu n'en montres rien. Ton visage demeure toujours inexpressif.
A nouveau, tu ne réponds pas tout de suite. Continuant de marcher, tu laisses planer une bonne minute de silence entre toi et ton interlocutrice. Nous pourrions presque croire que tu as oublié que l'on t'a adressé la parole.

- Glingal, de la Vallée d'Avalar. déclares-tu finalement, brisant le silence.

Au son de ta voix rauque, il semblerait que tu n'aies pas parlé depuis longtemps. Peut-être est-ce réellement la conversation la plus longue que tu aies pu avoir depuis un moment.
Toujours est-il que bien que tu aies eu l'obligeance de donner une information à Gayst, tu n'es pas avare en détails. Tu sembles ne t'être contentée que du minimum. S'agit-il là d'un acte volontaire de prudence ou un simple manque d'expérience de ta part quant aux interactions sociales ? Difficile à dire. Pourtant, à notre grand étonnement, Gayst semble avoir attiré ton attention si bien que tu t'apprêtes à reprendre la parole.

- Vous prétendez vivre dans les parages. Je viens souvent par ici et c'est pourtant la première fois que je vous vois. décrètes-tu.

Nous voyons à présent où tu veux en venir, Glingal. Tu as bien écouté les paroles de Gayst et de toute évidence, ses affirmations te laissent suspicieuse. Tu ne l'accuses pas directement de mentir mais à ton regard pénétrant, il semblerait que tu guettes sa réaction.
Il est vrai que tu as relevé un détail assez étrange d'autant plus que nous ne voyons aucune raison qui pousserait Gayst à mentir. En effet, s'il aurait été tentant de penser qu'un membre de la Pointe d'Avalar t'aurait suivie jusqu'ici dans le but de t'espionner, nous savons pertinemment que cette organisation ne saurait admettre des dragons en son sein.

Alors que la dragonne entame son récit, tu décroches bien vite ton attention. Visiblement, les propos de Gayst ne semblent guère t'intéresser. Les yeux perdus dans le vague, tu as maintenant l'air de t'ennuyer. L'oreille distraite, tu ne sembles pas réellement écouter ton interlocutrice. Tu n'as jamais été emballée par les discussions du quotidien que tu tends à considérer comme étant du bavardage inutile et dénué d'intérêt. Sans doute considères-tu Gayst comme une dragonne particulièrement ennuyeuse. Non seulement les détails de la vie de cette personne ne sauraient t'intéresser mais en plus, tu n'as aucune envie de lui rendre la pareille.
Ce n'est que lorsque les commérages de la dragonne cesse que tu reportes à nouveau ton attention sur elle.

- Je vois. lâches-tu au bout d'un moment.

En tendant l'oreille, nous parvenons à déceler un certain sarcasme dans ta voix. Peut-être Gayst a-t-elle décelé ton cynisme, peut-être pas. T'en soucies-tu seulement ? Sans doute pas. Toujours est-il que ce comportement traduit ton ressenti dans la mesure où tu n'apprécies guère la compagnie de cette dragonne au sourire niais. Tout ce qu'elle a réussi à faire depuis votre rencontre, c'est de t'agacer. Fort heureusement pour toi, tu possèdes suffisamment de patience pour ignorer les bourdonnements de la mouche.

- C'est ici que nos chemins se séparent. dis-tu, brusquement.

Directe, abrupte, tu mets tout bonnement terme à cet échange. Bénéficiant cette fois d'un bon prétexte pour te débarrasser de l'impertinente, tu lui tournes le dos et quittes le bosquet en direction du Domaine d'Avalar.
Tu poursuis ton chemin comme si de rien n'était. Peut-être recroiseras-tu un jour cette Gayst mais il est très peu probable que tu en aies envie. Tu n'as rien ajouté en guise d'au-revoir mais il ne faut pas s'attendre à mieux avec toi.

C'est une nouvelle journée qui commence pour toi, Glingal. Ou plutôt, une nouvelle occasion de t'enfermer dans une nouvelle routine. Bien matinale que tu es, tu as déjà commencé ton travail.
La lumière du matin parvient jusqu'à la grotte où tu as élu domicile et vient éclairer ton pelage roux. Nous avons désormais une meilleure vue sur ton habitat. Tu ne possèdes pas grand chose, mais les quelques affaires et habits éparpillés ici et là laissent entrevoir une négligence dans ta manière de vivre. Un feu est bien entendu allumé au centre de la caverne, et ce même en plein jour. Pourtant malgré ce désordre, nous remarquons que tu possèdes un établi qui contraste avec tout le reste. Y sont posés divers instruments que nous ne saurons nommer, vraisemblablement ce que utilises pour préparer des mixtures. Quelques flacons semblent y être rangés dans un ordre logique, ainsi que divers sacs contenant des plantes soigneusement conservées.
Ceci est révélateur de ta personnalité, Glingal. Si tu n'accordes que peu d'importance aux commodités de la vie quotidienne, tu prends de toute évidence ta fonction d'herboriste au sérieux. Sans doute est-ce pour cela que ta présence est tolérée dans les parages, ou que certaines créatures daignent chercher tes services.

Nous t'observons à une distance respectueuse tandis que tu poursuis ton travail. Tu es actuellement en train d'extraire un étrange liquide des pétales d'une fleur. Alors que tu t'attèles à la tâche, tes gestes sont minutieux et assurés. Tu récoltes le précieux liquide dans un flacon que tu ranges auprès des autres.

Tu t'immobilises soudain, les yeux dans le vague. Que t'arrive-t-il donc, Glingal ? Sans prévenir, tu te retournes avec brusquerie et sors de la caverne. Nous nous efforçons de te suivre malgré ton attitude inattendue. Nous sommes désormais près de toi et remarquons que tu sembles fixer un point au loin. Nous attendons que notre vue s'accommode à la luminosité avant de faire de même. En plissant les yeux, nous distinguons effectivement une guéparde au pelage tigré en proie à une grande agitation. Il s'agit d'Adishri Kiel, une figure fameuse dans les environs. De toute évidence, c'est toi qu'elle cherche.

- Vous dégagez une énergie si négative qu'il serait difficile de ne pas vous remarquer. fais-tu remarquer.

Il est rare que tu engages la conversation et pourtant, en cet instant précis, nous ne pouvons qu'admirer ton calme apparent. Outre tes crimes et ton affiliation à des magies sombres, la guéparde est peut-être là pour t'accuser de quelques autres maux, voire même t'arrêter. Est-ce le cas ? Aurais-tu commis de nouveaux crimes, Glingal ? En tout cas, nous ne décelons pas la moindre trace de crainte ou de culpabilité dans ton regard.
Toujours est-il que tu as intérêt à bien te tenir en compagnie de ton homologue. Les positions d'Adishri Kiel concernant les individus de ton espèces ne sont un secret pour personne. Et en prime, elle possède beaucoup de pouvoir dans les environs. Aussi espérons-nous que tu auras la sagesse de ne pas la provoquer.

Une brève analyse de la scène nous permet de voir que Kiel semble se situer dans un degré de nervosité rarement atteint. Un faux pas de ta part et cette guéparde se jetterait sur toi à ne point en douter. Pourtant, tu ne bronches pas. Alors que la cheffe de village t'expose la raison de sa venue, ton visage demeure inexpressif. Comme toujours, il nous est impossible de deviner le cours de tes pensées. Peut-être es-tu quelque part soulagée de ne pas être le sujet d'inquisition du jour bien que tu ne le montres pas.
En ce qui nous concerne, nous comprenons bien que la situation peut tourner à ton avantage, Glingal. En effet, alors que tu es très mal perçue dans la région, accomplir avec succès une telle demande - ou plutôt ordre - de la part d'une personne aussi influente qu'Adishri Kiel serait un acte susceptible d'inciter une certaine tolérance à ton égard en plus de s'avérer bénéfice à ton marché en tant qu'herboriste. En faisant preuve d'optimisme, il serait même possible qu'une telle action fasse se relâcher tant soi peu la pression de la Pointe à ton égard. Tu ne réponds pas tout de suite. Ton regard vitreux semble se fixer sur un point invisible au-dessus de l'épaule de ton interlocutrice. Cette attitude nous ramène à la réalité te concernant. Il nous est impossible de dire si tu es parvenue au même raisonnement que nous. Peut-être faut-il même craindre ta réaction.

- Je vois. Il me semble en avoir entendu parler. lances-tu.

Nous essayons vainement de déceler une quelconque intonation de la voix qui nous permettrait de deviner une prise de position. Aussi frustrant cela soit-il, nous ne disposons d'aucun détail qui nous permettrait de connaître ta prise de décision quant aux dires de Kiel.
Brusquement, tu tournes le dos à ton interlocutrice pour t'enfoncer dans la grotte où tu as élu domicile. D'un point de vue extérieur, un tel affront ne relèverait que de la folie pure, tout du moins si nous supposions que tu as simplement choisi d'ignorer la cheffe. Si tel est le cas, attends-toi à de sévères représailles, Glingal.
Nous entrons à notre tour dans la grotte où tu es retournée à ton établi de travail. S'il est tentant pour nous de penser que tu es simplement retournée à tes occupations d'avant la venue de la cheffe, notre hypothèse s'en trouve instantanément falsifiée lorsque tu regardes par derrière. Nous comprenons alors que tu attends tout simplement Kiel, à croire que tu n'as jamais douté qu'elle ait le réflexe naturel de te suivre.

- Symptômes ? jettes-tu par dessus ton épaule.

Maintenant, tout est clair comme de l'eau de roche. Tu as bel et bien décidé de répondre à la requête de Kiel et tu rassembles déjà ton matériel, sérieuse dans ton travail que tu es. Peut-être as-tu pris ta décision et réfléchi à tout cela dès le départ, peut-être pas. Il serait vraisemblable de pencher sur la première hypothèse au vu de ton assurance ainsi que connaissant ton attitude générale, mais rien n'est sûr avec toi. Quant à nous, nous basculons entre surprise et soulagement. Tu es décidément une personne imprévisible, Glingal.